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D Junquas
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Actualité de la "servitude volontaire"

Lun 30 Nov - 13:04
Actualité de la "servitude volontaire"  

La Boétie est né à Sarlat (Dordogne). Il n’a pas plus de 18 ans quand il écrit le « Discours » qui paraîtra en 1549 et ne cessera de résonner à travers les siècles...
Ce jeune homme précoce avait en effet soulevé une question qui, à première vue, peut pourtant paraître simple, évidente, mais qui est en réalité fondamentale et vertigineuse :
Il n’y a pas de tyrans (ou de maîtres) sans esclaves, que ceux-ci soient soumis de gré ou de force, de force ou de gré...

« Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes ! »

« Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser. »

Raphaël Enthoven, introduisant un entretien consacré à la servitude volontaire sur France Culture dans une émission de la série « Le Gai Savoir », résumait ainsi la problématique : « Comment la servitude peut-elle être volontaire? Comment peut-on avoir le désir de se soumettre? » Autant vouloir ne plus vouloir, ou réclamer librement de porter des chaînes aux pieds. Pourtant, c’est comme ça que ça marche bien souvent : telle est l’étrange et imparable leçon du discours de la servitude volontaire.

Qu’aurait donc pensé un La Boétie observant ces foules en délire acclamant un Hitler, un Mussolini, un Staline ou bien d’autres ?
Sans nul doute, que rien n’a vraiment changé sous le soleil...
Ceux qui veulent se persuader que l’homme est bon par nature hasarderont sans doute que seule la peur peut expliquer de tels comportements. Ce peut être en effet le cas, et sur cette évidence La Boétie ne fait évidemment pas l’impasse...
Mais l’on constate avec effroi que les peuples peuvent être fascinés par les tyrans, comme si était à l’œuvre une forme d’envoûtement, d’ensorcellement ; et si nous poussons plus loin la lucidité, nous serons bien forcés d’admettre que nous n’avons aucune certitude quant à ce qu’aurait pu être notre propre attitude dans un contexte similaire.
La peur n’est donc pas forcément indispensable pour soumettre les masses, il est des méthodes plus subtiles, La Boétie le note. Il serait certainement fasciné par celles qui sont à l’œuvre à notre époque...

Pourquoi en est-il ainsi ? L’auteur esquisse une explication qui me semble insuffisante… On peut lui pardonner de n’avoir pas lu Freud !
L’homme du XXIe siècle se demandera quelle est la part de volonté, de conscience, dans cette servitude dite « volontaire ». Et je mets cette fois des guillemets…
On peut discuter de la part de volonté qui est ici à l’œuvre…


« Les médecins disent qu’il est inutile de chercher à guérir les plaies
incurables, et peut-être, ai-je tort de vouloir donner ces conseils au peuple, qui, depuis longtemps, semble avoir perdu tout sentiment du
mal qui l’afflige, ce qui montre assez que sa maladie est mortelle. Cherchons cependant à découvrir, s’il est possible, comment s’est enracinée si profondément cette opiniâtre volonté de servir qui ferait croire qu’en effet l’amour même de la liberté n’est pas si naturel. »

… « Cependant l’habitude qui, en toutes choses, exerce un si grand empire sur toutes nos actions, a surtout le pouvoir de nous apprendre à servir » …


Est-on vraiment conscient de ce qui nous opprime ? Ne peut-il nous arriver de nous tromper de tyran ? Le fin du fin de la tyrannie étant que le peuple se soumette sans avoir conscience qu’il le fait. Le tyran classique « des âges farouches » avait un visage, et des hommes en armes à son service. Mais ne pourrait-il y avoir une tyrannie sans visage, sans tête, sans bras armés et qui nous caresserait dans le sens du poil ? Et ce, sans même qu’il y ait des tyrans planqués qui tireraient les ficelles d’un complot mondial.

Il nous est en effet difficile de saisir la logique d’un système économique dans lequel nous sommes englués et auquel nous sommes (volontairement?) asservis.
Certes, il y a eu de tous temps, me dira-t-on, des techniques efficaces pour contraindre sans violence : mais y en a-t-il jamais eu d’aussi efficaces ?
En outre, celles auxquelles je pense, apparaissent bien souvent comme libératrices. Il convient cependant d’y aller voir de plus près…

C’est ce à quoi nous invitait le dossier intitulé précisément « Une nouvelle servitude volontaire » dans le numéro 133 de Philosophie magazine.
Shoshana Zuboff auteur de l’ essai retentissant intitulé « L’Âge du capitalisme de surveillance » pose que : le capitalisme est fondé sur une dynamique qui le pousse à transformer en marchandise ce qui était alors hors marché. Avec le capitalisme de surveillance, il s’agit de capter l’expérience humaine dont on se sert comme d’une matière première pour la transformer en prévisions comportementales monnayables sur un nouveau marché...
Ces technologies pénètrent nos vies de manière indétectable. »


Dans ce numéro on croise également Alain Damasio, auteur connu de science-fiction mais aussi de nouvelles et d’essais, dialoguant avec Antoinette Rouvroy, juriste et philosophe à ses heures. Damasio a récemment publié « Les furtifs » inspiré notamment des travaux sur la gouvernance algorithmique d’Antoinette Rouvroy.
« Chacun reçoit l’injonction de maximiser son capital humain numérisé – avoir beaucoup d’amis, de vues, de like, être bien noté sur Aibnb et sur Uber. Nous sommes dans la société de l’évaluation… » note Damasio.
« Le plus troublant est que ces entreprises (les GAFAM) n’imposent rien, voire qu’elles n’ont aucune volonté de gouverner. Personne ne vous mettra jamais un pistolet sur la tempe pour vous obliger à créer un profil Facebook. Les GAFAM cherchent seulement à optimiser leurs profits. Pour y parvenir, elles mettent à notre disposition un ensemble d’outils et d’applis que nous empoignons pour fluidifier nos existences tout en maximisant notre auto-aliénation. Dans les « Furtifs », j’appelle ça le « self-serfvice » ; une spirale de la servitude volontaire. »

L’un des dirigeants de Google, Eric Schmidt a déclaré ceci : « Nous savons en gros qui vous êtes, en gros qui sont vos amis. La technologie va être tellement bonne qu’il sera très difficile pour les gens de voir ou de consommer quelque chose qui n’a pas été quelque part ajusté pour eux... »

Face à son écran et à son clavier, l’individu contemporain se croit le maître du monde. En quelques clics il peut commander la pizza qui lui sera rapidement livrée par quelque employé ubérisé, passer commande chez Amazon de tout ce qui lui chante (pour peu qu’il ait les moyens de se l’offrir), s’imaginer gilet jaune sans décoller ses fesses du fauteuil, accéder à une banque quasi illimitée d’informations. Mais il y a peu de chances qu’il sorte de la bulle dans laquelle les algorithmes cherchent à l’assigner.
Le problème est celui de la liberté qu’il me reste si je deviens le rouage d’une machinerie complexe remplissant mes attentes et comblant mes désirs.

Comme le faisait remarquer Vincent Giret , directeur de France Infos, invité jeudi 19 novembre au matin par Guillaume Erner sur France Culture, nous avons vécu et nous vivons depuis peu un « tremblement de terre technologique » qui s’est diffusé avec une extrême rapidité (« comme cela ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’humanité ») et nous sommes désormais assaillis par « un tsunami d’informations »
Bien entendu dans ce tsunami informatif que charrie l’internet en général et Youtube en particulier l’excellent côtoie le médiocre. On y trouve par exemple de vrais scientifiques au thèses forcément nuancées, relatives, complexes, exposant des vérités temporaires qui ne sont vraies que jusqu’à preuve du contraire, et nombre de charlatans arrogants, de marchands de fake news, de théories du complot. Comment lutter contre ce déferlement ?
- « Avons-nous été conquis ? » se demande le romancier Alessandro Barrico qui,cherchant à sortir des a priori, a mené une enquête sérieuse et honnête (mais non dépourvue d’humour) sur ce phénomène qu’il a nommé : « The  Game ».

Prenant acte du fait qu’une révolution technologique sans précédent a eu lieu et se poursuit, Barrico cherche à comprendre ce qui s’est vraiment passé et quelles en sont les conséquences….Il la compare à une série d’éruptions qu’il observe à la manière d’un géologue inventoriant ces mouvements tectoniques qui se sont succédé et amplifiés avec une rapidité surprenante, bouleversant tout le paysage.
Selon toute probabilité, pense-t-il, cette révolution technologique s’accompagne d’une révolution mentale dont il est difficile de mesurer la nature et l’ampleur. Le rêve d’une « humanité augmentée » l’accompagne.

Pendant des siècles l’humain s’est efforcé d’enrichir la réalité, en écrivant des livres, en forgeant des histoires, en peignant des tableaux, en sculptant des blocs de pierre ou en composant de la musique, cependant qu’une autre partie se laissait entraîner dans ces autres mondes qui enrichissent le réel. Ce serait au fond le même processus qui serait à l’œuvre aujourd’hui mais sous d’autres formes.
Alors que tout semble offert à tous comme sur un plateau, l’utilisateur peut s’imaginer qu’il est possible de se passer des élites, des experts, des passeurs (journalistes professionnels par exemple). Ces « élites » qu’elles soient économiques, politiques, culturelles... sont d’ailleurs souvent mises dans le même sac. Dans le domaine politique on assiste à l’émergence d’un leadership populiste…
Certes Barrico est inquiet, mais il ne se veut pas catastrophiste. Il espère qu’il est possible de construire un « Game » adapté aux humains. « Pas seulement produit par les humains : adapté à eux. ».

Saurons-nous résister aux nouvelles formes de servitude volontaire ? Sacré combat !

Daniel Junquas – 30 novembre 2020
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D Junquas
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Une proposition de Claudine Fabre pour aider à l'expression écrite

Mar 1 Déc - 11:53
Voici deux exercices destinés à ceux que l’écriture sur un thème philosophique intimiderait -pas interdits aux autres non plus- vous pouvez choisir l’un ou l’autre (ou faire les deux) :

Après avoir lu attentivement plus d’une fois le texte proposé par Daniel vous installer au calme en vous donnant un temps limité.



Exercice n°1 -en deux temps-


1- A propos des thèmes du texte, très vite et sans trop réfléchir (10 minutes) Ecrire une liste de 10 phrases différentes toutes commençant par:

«Une chose vraiment surprenante (et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner c’est … (par exemple: …le temps que la plupart d’entre nous passe devant les écrans.)

Ne pas aller au-delà d’une phrase et passer à la suivante. Ne trichez pas! -même si vous avez envie de continuer sur une phrase que vous trouvez particulièrement géniale.

La liste terminée, laisser reposer d’1/2 journée à 24 heures.

2- Choisir une phrase dans la liste et écrire ce qui vous vient comme ça vous vient, ne pas vous censurer. Quand vous pensez avoir terminé laisser encore reposer et corrigez -ou pas- avant d’envoyer.


Exercice n°2 (peut-être moins facile mais ça dépend de chacun)

A partir de: « Est-on vraiment conscient de ce qui nous opprime? »

« Oui parce que… » continuer et passer ensuite à « Non parce que… » (vous pouvez inverser le oui et le non mais l’important est de traiter les deux). Donnez-vous un temps limité, 20 minutes au total par exemple, de toute façon vous n’épuiserez pas le sujet. Écrivez comme ça vient sans avoir de modèle en tête.

Ensuite, laisser reposer… relisez-vous, condensez, corrigez s’il y a lieu et envoyez.

Bon courage!
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Alain Bosser
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Re: Actualité de la "servitude volontaire"

Mer 9 Déc - 17:32
Le texte de Daniel me parait exposer clairement les principaux aspects de l’essai de La Boétie. Je souhaiterais seulement insister sur quelques-uns d’entre eux.
Le présentateur de ma version en français moderne de « La servitude volontaire » (apparemment différente de celle de Daniel) insiste d’emblée sur la multiplicité des interprétations qui en ont été données selon les objectifs politiques qu’il s’agissait de promouvoir. Montaigne lui-même dénoncera l’utilisation « à mauvaise fin » qui en sera faite par les protestants « qui cherchent à troubler et changer l’état de notre police (société) sans se soucier s’ils l’amenderont ». Et en effet, ce texte, sur bien des points, n’est pas exempt d’ambiguïtés.
- La situation à laquelle La Boétie se réfère, en particulier n’est pas clairement définie. Lorsqu’il expose que c’est le consentement des asservis et non la puissance du tyran qui fonde la tyrannie, on peut imaginer qui sont les asservis. Mais de quel tyran parle-t-on ? Est-ce un « mâle dominant » qui impose sa domination à un clan en utilisant sa seule force personnelle ? Est-ce un « groupe d’hommes armés » dont la puissance collective permet au chef qu’il s’est choisi d’exercer son pouvoir sur un groupe humain plus vaste, voire sur toute une région? Est-ce le chef d’un Etat disposant du « monopole de l’usage légitime de la force physique » pour faire respecter le droit qu’il a institué ? La Boétie parait souvent hésiter entre ces différents états de servitude alors que les moyens auxquels les asservis doivent faire appel pour s’en libérer sont évidemment fort différents. Pourtant : « Soyez résolus de ne servir plus et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez, ni l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé la base, de son poids même, s’effondrer et se rompre ». De telles circonstances ont-elles existé une seule fois dans l’Histoire ? Quand et où a-t-on vu un tyran quitter la scène sans y être contraint, sous le seul poids de la réprobation de ses sujets ? Si une réponse existait, les biélorusses et Loukachenko seraient certainement intéressés à l’entendre !
- Pour certains, « servitude volontaire » serait un oxymore : on ne pourrait renoncer à être libre ! La Boétie parait sur ce point plus réaliste. On peut « vouloir la servitude » si des « stratagèmes » permettent de s’y accoutumer : l’idéologie, les jeux ou les superstitions, mais aussi et surtout la cupidité et le goût des honneurs (ces biens ni naturels, ni nécessaires, que dénonçait Epicure) qui amènent littéralement les individus à cesser de penser. « J’obéissais » répétait inlassablement Eichmann lors de son procès à Jérusalem. Pour Hannah Arendt, ce criminel de masse était un homme ordinaire, victime du système qui assure le fonctionnement de nos sociétés modernes en s’appuyant sur la toute puissance d’un Etat et d’une bureaucratie pour lesquels la production et l’efficacité priment et qui ravalent l’individu au rang de simple case dans un organigramme.
- Si La Boétie écrivait aujourd’hui son essai, ne serait-il pas tenté de lui donner un autre titre : « La servitude inconsciente », par exemple, pour souligner que la tyrannie pourrait bien un jour prochain se passer de tyran puisque nous sommes de plus en plus amenés et disposés à l’exercer nous-mêmes contre nous-mêmes. N’aurions-nous pas si bien intégré les exigences de ce nouveau tyran qui a pour nom « Le Marché » et de ses affidés : « individualisme », « compétitivité », « mobilité »…que nous nous comporterions désormais, sans même y penser, conformément à ce qu’il attendrait de nous. De cette nouvelle « servitude volontaire », toute volonté n’aurait-elle pas disparu, y compris celle qui nous faisait préférer la servitude ? N’étant plus exposée à la tyrannie, notre conscience d’être asservis ne serait-elle pas condamnée à disparaître à son tour, entraînant symétriquement dans sa chute la conscience de notre liberté ? Et « à la fin du jour », en accédant au rang de plus haute vertu civique, d’où elle aurait chassé la quête de la liberté et de l’égalité, la servitude ne s’imposerait-elle pas comme nouvelle et seule essence de l’homme?
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henri
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty SUR LA SERVITUDE VOLONTAIRE

Jeu 10 Déc - 15:07
La servitude volontaire, titre du livre de La Boétie, sonne comme un oxymore, où le vocable "volontaire", en tant que décision librement choisie et non imposée, voudrait sa privation de liberté.
Si l'homme cherche son bonheur, le désire, en manque, serait-ce dans les fers de l'esclavage qu'il le trouverait ?
Si pour Aristote l'homme désire apprendre, pour Freud au contraire il a la "passion de l'ignorance", il méconnaît son désir. Il semblerait que ces deux savants ne considèrent pas l'homme au même endroit dans la temporalité de son existence. Le penseur de Vienne le situe au début de son développement alors que le Stagirite parle de celui qui est avancé dans le savoir.
La servitude volontaire paraît être le propre du masochiste, de l'homme empêtré dans son développement psychique, embrouillé dans ses contradictions internes, qui voulant le meilleur pour lui est amené à faire le pire. C'est la fameuse Acrasie ou faiblesse de la volonté dont parlent Ovide et plus tard Paul de Tarse :"Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal" . S'il y a servitude elle ne peut être, me semble-t-il, volontaire, mais plutôt l'effet d'une aliénation, d'un automatisme, d'une impulsion, d'une passivité liée à une aliénation interne ou externe, à une cause extérieure pour parler comme Spinoza.
"L'homme pense être libre parce qu'il sait ce qu'il désire mais ignore les causes qui le déterminent".
Ainsi par son ignorance fondamentale, il s'enfonce, s'englue peu à peu dans la souffrance, la passivité de son état de servitude en ayant la conviction d'être libre, d'être l'auteur de son vouloir. Petit à petit il resserre les liens qui l'entravent.
Seule une thérapeutique curative sera à même de lui faire prendre conscience de ses erreurs, de son ignorance, de ses préjugés, de ses illusions.
L'homme en tant qu'être parlant, "parlêtre dira Lacan, est un animal malade, dénaturé, contaminé, parasité par le langage, il devra prendre le remède amer des philosophies du soin, du souci de soi, le tetra farmakon d'Epicure, ou bien les remèdes aux affects de Spinoza, ou bien il se tournera aujourd'hui vers les philosophies du soupçons comme les baptisera Paul Ricoeur (Nietzsche, Marx et Freud).
Spinoza nous dit que l'âme est en permanence engagée dans un rapport de forces (ce que reprendra Nietzsche) dans lequel, paradoxalement, c'est à elle-même qu'elle est opposée, dans le contexte d'une confrontation dont l'issue s'apprécie en termes de plus et de moins : plus de puissance, plus de compréhension, plus d'activité, c'est à dire moins d'aliénation, moins de confusion mentale, moins de passivité; ou inversement, plus d'incohérence, plus d'ignorance, plus de soumission, et moins de clarté, moins d'ordre, moins de maîtrise de soi.
Platon qui définira le philosophe comme celui qui aime la sagesse, mais qui à la différence du sage, en manque, est celui qui souffre, qui endure, il dira que dans cette ascension philosophique "il faut pousser les choses à leur comble", afin que poussent les ailes (douleur comparable à celle des bébés dont les dents percent la gencive) permettant le décollage. Autrement dit comme le disait Héraclite, "Polemos est le père de toute chose", du logos, du discours rationnel. De la guerre, de sa résolution advient l'esprit critique, de la crise la rationalité.
Nous ne sommes pas loin de l'antagonisme et de la résolution des contraires chez Hegel, de sa notion d'aufhebung qui dépasse, surmonte sa contradiction en conservant toutefois une partie de son état antérieur. c'est ainsi que Nietzsche prétendra être mort plus de fois que le "crucifié" dans sa quête "d'esprit libre", oû l'air des cimes est pur.
Mais quelle est donc cette partie qui subsiste de l'état antérieur chez le père de Zarathoustra ou dans l'aufhebung hegelienne ?
Le grand indianiste Guy Bugault raconte dans son livre" l'Inde Pense-t-elle" ? suite à la question de savoir "qu'est-ce qui transmigre d'une vie à l'autre quand dans son chemin vers la délivrance (Nirvana), qu'est-ce qui doit se libérer, et de quoi ?
Il pose cette question à Ferdinand Alquié qui répond : "Autant que je puisse raisonner sur ce point, toute libération suppose à la fois un sujet qui se libère et ce dont il s'affranchit. Nous sommes invités à nous libérer de telle ou telle conduite, mais comment se libérer de son moi.
N'est -ce pas un moi qui est invité à se libérer de lui-même ? Comment est-ce possible ? C'est ici l'important, Alquié dit : "faut-il comprendre que ce qui se libère ainsi du moi, c'est un esprit universel ?"
Nous ne sommes pas vraiment des "moi" (cette entité n'existe pas) que le fond de notre moi est un esprit universel qui se prend à tort pour un moi et qui doit découvrir quelle est sa vrai nature.
Dans la cure analytique, à sa fin à sa terminaison, le sujet isole "l'os du symptôme", soit "l'incurable", "l'intraitable", il est alors temps pour lui de quitter cette "scène" où il risque de s'engluer dans une aporie, un chemin sans issue, analyse interminable, sorte de "pat" aux échecs.
C'est ainsi que le grand logicien indien du III siècle après JC, NAGARJUNA, dira :"Celui qui fait de la Vacuité un but, celui-là les vainqueurs l'ont déclaré "INCURABLE". Il y a à comprendre que le samsara (cycle de renaissance et de souffrance dans lequel sont pris les êtres non éveillés, en fait la vie avec ses joies et ses peines) n'est autre que le Nirvana (délivrance, éveil). Une fois comprise cette vérité ultime il ne faut pas insister dans sa quête sous peine d'enlisement.
C'est cela qui fera dire à Freud : "Il y a beaucoup à gagner si l'on parvient à transformer votre misère hystérique en malheur banal".
Dans le Phédon Platon explique que, paradoxalement, l'homme de la servitude, l'enchaîné, excelle lui-même à resserrer ses propres chaînes. L'âme en proie à l'ignorance est prise dans le corps comme dans une prison. Celle-ci est l'oeuvre du désir, avec son cortège de plaisirs et de peines. or plaisirs et peines agissent comme un clou qui cloue, chaque fois d'avantage, l'âme au corps. De tous les maux qui nous affectent celui-ci est le mal suprême. le rôle de la philosophie est de nous délivrer de cet enfermement, de cette aliénation: A cette fin l'âme doit se purifier, elle doit se rassembler, se concentrer.
Ici Platon considère la délivrance comme un "horizon", tandis que l'Inde admet, en certains cas exceptionnels, la délivrance dès cette vie.
Quand aux modernes formes de servitudes, d'aliénations, proposées par notre temps, différents médiats et surtout l'internet et ses usages (face book, instagram, zoom, etc) Je voudrais ici rappeler la critique de l'écriture par le Platon du PHEDRE, qui rendrait la mémoire oublieuse (et ce dont je ne me souviens je le répète, je le traduis en symptômes sur le corps ou dans l'esprit). Si l'écriture est la matrice de tous les autres médiats , nous voyons de nouvelles servitudes apparaître mais également de nouveaux élargissements de notre prison psychique.
Platon ésotérique considérait que le savoir ne devait être délivré qu'à quelques "happy few" triés sur le volet, voila pourquoi il critique par la bouche de Socrate l'universalisme de l'écriture.
Il s'agit comme au siècle de Périclès de former et d'informer par l'éducation les gens à se servir et à maîtriser les nouveaux médiats. Tous les progrès font naître des régressions imprévues, "omnis determinatio negatio est".


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Alain Bosser
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Corvéable, substituable, périssable...

Mer 16 Déc - 16:28
J’ai hésité à joindre le texte qui suit à mon premier commentaire (parce que trop long pour être une simple citation). Mais compte tenu de son intérêt pour le sujet qui nous occupe – et de sa beauté intrinsèque -, je n’ai pas tardé à le regretter. Le voici donc :
« Le père de Bassam avait exploité un pressoir à olives dans une grange à l’orée du village de Sa’ir, près de la grotte où Bassam avait grandi. A l’intérieur, un cheval blanc tournait en rond sans arrêt, éclairé par une lampe à huile. Le cheval – dont les yeux étaient bandés, afin qu’il n’ait pas le tournis – poussait la barre en bois et faisait se frotter une pierre circulaire contre une autre, broyant les olives, exprimant l’huile.
Ce que Bassam, enfant, n’arrivait pas à comprendre, c’était comment le cheval pouvait tourner toute la journée sans s’écrouler de fatigue. Ce n’est qu’à l’âge de six ans qu’il se rendit compte que trois chevaux blancs identiques se relayaient.
Deux ans plus tard arriva un pressoir électrique et les chevaux furent envoyés dans le champ de pierres, où ils passèrent le restant de leurs jours à décrire, inlassablement, des cercles ».
Colum McCann. « Apeirogon » (p.365). Un apeirogon est une figure géométrique au nombre infini de côtés.
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D Junquas
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Re: Actualité de la "servitude volontaire"

Mer 16 Déc - 20:22
La Boétie « engueule son lecteur ». Il le secoue. Comme s’il voulait l’arracher à son l’engourdissement en lui tendant un miroir qui l’oblige à contempler une image peu flatteuse  : celle de la victime consentante.

« Soyez résolus de ne servir et vous voila libres ! »

    Que l’on soit obligé à se soumettre à un tyran disposant de la force armée, cela se conçoit et ce n’est pas cela que La Boétie nous reproche. Il ne s’agit pas là de servitude volontaire. Encore que le tyran puisse disposer à la fois de la force et de l’arme tout aussi efficace de la propagande (les exemples ne manquent pas).
Il se peut aussi que le chef soit choisi parce que le peuple l’aime et a reconnu ses compétences. Pas de servitude volontaire là non plus (du moins à priori).  
Il est à remarquer que La Boétie ne fait pas allusion à aspect théologique. Ce silence est sans doute intéressant à noter...
Sont mis de côté, me semble-t-il, les cas où les choses ne dépendent pas de nous (ou très peu) mais pour autant on ne nous laisse pas nous rendormir sur le doux oreiller de notre bonne conscience victimaire.
C’est bien joli tout cela, mais, en pratique ? Que faire ? Comme disait quelqu’un.
S’il ne s’agit même pas de se révolter, simplement de ne plus fournir au tyran les aliments dont il se gave à nos dépends. Alors ? Suffirait-il de ne rien faire ? De « Refuser  de » ? Mais comment ?  
    Me revient à l’esprit le : « Je ne préférerais pas » du « Bartleby » de Melville.
Ce Bartleby est un copiste qui travaille chez un avoué de Wall Steet. Un beau jour, alors qu’il est convoqué par son patron pour collationner un document, il énonce avec calme et placidité : « I would prefer not to », c’est-à-dire littéralement, « je préférerais ne pas (le faire) ».Cette formule constituera la réponse de Bartleby à toute demande. On est saisi par la force de cette lecture qui fait de Bartleby la figure de la résistance passive à une réalité devenue insupportable.
    Pour Deleuze il y a chez Bartleby un aspect messianique et révolutionnaire, ouvrant la porte à de possibles interprétations politiques. Toni Negri aurait vu dans le scribe melvillien le parangon de la résistance passive à la servitude volontaire ; refus absolu et solitaire qui ne s’accompagne pas pour autant de quelque projet révolutionnaire.
Bartleby ne prônerait même pas la désobéissance civile comme un Thoreau.
    Le dossier le philo-mag consacré au thème de « l’actualité de la servitude volontaire »   met notamment l’accent sur la société de contrôle qui se met en place grâce aux technologies modernes.

« N’est-ce pas une nouvelle forme d’aliénation qui ne repose plus, comme chez Etienne de la Boétie sur la fascination pour le tyran, mais pour l’attrait pour une nouvelle puissance qui capte les gestes, les regards, les pensées de chacun pour les renvoyer à tous sous forme de prescriptions.  Le nouveau contrôle qui s’exerce sur nous emprunte des caractéristiques à trois grands modèles qu’il combine, en leur enlevant astucieusement leur dimension la plus oppressive : le Panoptique de Jérémy Bentham , l’écran totalitaire du Big Brother de George Orwell, la traçabilité au sens de Gilles Deleuze. » ( Martin Legros, Philosophie magazine n°133 page 48).

Pour ma part c’est le formatage des esprits à l’œuvre via les réseaux sociaux qui me fascine et m’inquiète. Les « réseaux sociaux » n’ont bien entendu pas inventé la servitude volontaire (La Boétie en est témoin) et ils n’en ont pas le monopole, loin de là. Mais le formatage moderne est d’autant plus invisible que les utilisateurs sont en général persuadés d’être libérés de l’aliénation au « système » et à ses « médias mainstream ». Faisant abstraction du fait que les GAFAM ne sont pas des philanthropes qui leur mettent à disposition des espaces de liberté d’expression, faisant abstraction des algorithmes visant à enfermer les internautes dans des bulles, les adeptes inconditionnels de You tube, Instagram et autres facebbok, se croient des résistants aux infos mensongères des médias « traditionnels » qu’ils mettent tous dans le même sac… Nous y reviendrons...

Hamel aime ce message

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D Junquas
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Lres "philosophes du soupçon" pourraient-ils nous aider à répondre à la question posée ?

Mer 16 Déc - 23:04
Nous savons que La Boétie, malgré son jeune âge, était déjà un érudit lorsqu’il composa son discours. Vers la fin de ses humanités, il s’était prit de passion pour la philologie antique. Par ailleurs Il s’amusait à composer des vers français, latins ou grecs et devint plus tard le traducteur d’ ouvrages de Plutarque, Virgile et L’Arioste. Par la suite il entama des études de droit à l’université d'Orléans .
Mais on ne peut tout de même pas lui reprocher de n’avoir pas lu Spinoza, Darwin, Freud, Nietzsche ou Marx ! Est-ce que ces auteurs (ou d’autres) ont apporté à la question vertigineuse posée par La Boétie des amorces de réponses ? Ont-ils fourni des éclairages permettant de mieux comprendre l’origine de cette étrange maladie si largement répandue? Quel vaccin pourrait nous en prémunir ?
Pour La Boétie la servitude est contraire à l’état de nature :

 « Ce qu’il y a de clair et d’évident pour tous, et que personne ne saurait nier, c’est que la nature, premier agent de Dieu, […] nous a tous créés et coulés, en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères. »
« La première raison de la servitude volontaire, c'est l'habitude » ; « la première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c'est qu'ils naissent serfs et qu'ils sont élevés dans la servitude ».
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D Junquas
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Contribution de Francis qui n'a pas pu placer lui-même son message et m'accuse de tyrannie !

Jeu 17 Déc - 7:56
Difficile d’aller au-delà de ce que nous dit Daniel de ce que nous dit La Boétie du tyran. Sommes-nous condamnés à l’ânonner sans cesse ?

Reportons-nous au biblique Daniel, personnage de cour, qui commande Nabuchodonosor en interprétant ses rêves. Il ne suffit pas, comme le font Daniel La Boétie, de remarquer que le tyran dépend du peuple, mais de savoir pourquoi le peuple porte aux nues un personnage falot, type Hitler ou Trump ? Alain le souligne, il n’existe pas d’exemple de tyran dont le pouvoir se soit dissous après qu’il ait appris le tenir du peuple.



Si nous descendons d’une marche : pourquoi Daniel a-t-il eu autant de succès ? Son aptitude à l’interprétation lui donne un pouvoir sur le puissant. Autrement dit, celui qui interprète le désir est auréolé d’un savoir.

Il y a fort à parier que Daniel dut avoir un franc succès auprès des femmes qui aiment inconditionnellement (du moins au début) l’homme qui les interprète.

Cela montre que ce qui est pour nous tyran ou tyrannie, ne l’est pas pour ceux qui les créent. Imaginons que Daniel se comporte mal avec une femme (ce qui n’est pas à exclure), celle-ci dira-t-elle être maltraitée ? Pas sûr.

Je me souviens de cette femme (elle sortait de l’hôpital pour une côte cassée et le visage tuméfié), qui disait, les yeux au bord des larmes : « Qu’est-ce que vous voulez, il a été placé à la DDASS quand il était petit » ! C’était la seconde fois qu’elle sortait de l’hôpital. Qu’est-ce qui la tenait à cet homme, qu’elle ne traitait pas de tyran ? Il lui permettait qu’elle occupe cette place du manque de l’autre ; c’est-à-dire qu’elle était le manque de cet homme, et pour ça, aucun prix n’est assez exorbitant pour une femme ou un homme.

Tout cela n’est que bibine, si je suis Henri. Au plus loin que l’on regarde, le statut de dépendance à l’égard de l’Autre débute toute existence. L’enfant est strictement dépendant de ses proches pour vivre et pour exister. Si bien que toute la vie se passe à rechercher la reconnaissance de l’Autre (toujours ingrat, on le répète souvent) quitte à s’y aliéner.

Le sujet est dépendant de l’Autre ; il l’est aussi de son moi (qui prétend tout savoir, comme un beau-frère). C’est pourquoi il est comique qu’on veuille atteindre son véritable moi, pour se libérer de l’Autre. Le moi est une image qui ne renvoie qu’à une autre image, laquelle est prise dans la dépendance à l’Autre, comme le montre si gentiment l’amour.

Quand Daniel aime, sûr qu’il devait se trouver un puissant moi : quand les hommes aiment, ils se sentent autre, portés par des elles.

Et puis, Alain l’évoque, les objets inessentiels du marché, ne font que détourner les sujets de Dieu, c’est-à-dire de l’inconscient. C’est la nouvelle aliénation. Il n’y a que voir la fièvre acheteuse des black Friday. Le consommateur se croit libre d’acheter lors du free-day ? Le marché répond à la demande du consommateur, qui y trouve un tyran qu’il aime.

FRANCIS

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Claudine
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Servitude volontaire et tyrannie

Mar 22 Déc - 21:19
De la servitude volontaire, forum café philo

Merci à Daniel d’avoir proposé ce sujet de réflexion passionnant et ô combien complexe. L’édition du Discours de la servitude volontaire qui est la mienne (petite Bibliothèque Payot) comprend non seulement le texte original avec une orthographe modernisée qui le rend tout à fait lisible et sa transcription en français moderne, mais aussi différentes contributions qui l’éclairent: entre autres Marcel Gauchet, Simone Weil, Pierre Clastres, Claude Lefort…
Le lièvre soulevé est de taille et je n’ai pas réussi à condenser mon propos. Bien plus, je le trouve inachevé…
Qu’est-ce qu’un tyran? La Boétie multiplie les exemples de tyrans célèbres (Denis de Syracuse, Xerxès…) et Claude Lefort pense que la composition du texte et l’ironie du ton montrent que le roi de France est aussi visé de manière à peine dissimulée. Car ce n’est pas sa méchanceté ou sa folie qui fait le tyran -tous les tyrans ne sont pas Néron ou Caligula- c’est la nature de son pouvoir, la manière dont il gouverne son peuple. Ce qui caractérise la tyrannie c’est la soumission totale d’une nation entière à un seul homme qui n’a d’autre loi que son seul désir, ou son seul caprice. C’est le degré zéro du politique, il n’y a plus que des rapports individuels de domination d’un côté et de soumission de l’autre, un maître et des esclaves. La Boétie nourri de l’Antiquité gréco-romaine y puise ses exemples et sa description du régime tyrannique comme pouvoir personnel absolu.  Dans les livres VIII et IX de La République Platon explique que c’est le peuple qui porte le tyran au pouvoir, un peuple flatté par lui et par ses sbires et qui l’adore littéralement…au début du moins. Bien sûr à notre époque l’exemple d’Hitler élu on ne peut plus démocratiquement vient en premier, mais il est loin d’être le seul. Nous avons tous en tête des images de foules fanatisées et hystériques acclamant frénétiquement leur tyran bien-aimé et prêtes à tout pour lui alors qu’il leur serait si facile de le mettre à bas seulement en refusant d’obéir. La servitude est donc volontaire mais comment l’expliquer? La Boétie met en évidence la structure du pouvoir tyrannique: “le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de la tyrannie’’. Cinq ou six entourent le tyran, parfois les mêmes que ceux qui l’on fait, ils flattent ses pires penchants, se font complices de ses crimes. Ceux-là règnent sur six cents qui se soumettent six mille qui en dominent six cent mille….et ainsi de suite jusqu’à enserrer le pays tout entier dans un filet dont chaque maille ne tient que d’être nouée aux autres. Bien peu y échappent, et le plus souvent à leurs risques et périls.
Ainsi la servitude volontaire d’un peuple qui amène chacun à resserrer les noeuds qui l’emprisonnent se comprend à partir de son apparent contraire: l’amour du pouvoir qui ne fait qu’un avec l’amour-haine du tyran. (Identification dit la psychanalyse)
Pour être un mode de gouvernement archaïque, pré-politique, la tyrannie asservit encore des nations entières et ne serait-ce qu’à l’état larvaire menace toujours, hors d’Europe mais pas seulement, et il est douteux qu’elle disparaisse un jour. “le ventre est encore fécond qui engendra la bête immonde’’ -Bertold Brecht-.
Les constitutions démocratiques libérales (au sens politique du terme), garantissent  l’exercice de la liberté personnelle tant qu’elle ne nuit pas à la liberté d’autrui grâce à la séparation des pouvoirs. On voit que les aspirants à la tyrannie cherchent à s’en affranchir avec un succès inégal. Donald Trump vient d’en faire l’épreuve  auprès de la Cour Suprême des Etats-Unis qui a refusé d’examiner le recours du procureur du Texas -fidèle de D.Trump- tentant de faire invalider le vote démocrate dans quatre états clés ce qui aurait inversé le résultat de l’élection présidentielle. Exemple d’autant plus probant que la majorité des juges de la Cour appartient au parti même du président battu.

Cependant sous d’autres formes, impersonnelles, plus subtiles, la servitude volontaire se perpétue. Comme l’Hydre de Lerne, serpent monstrueux à cent têtes dont chacune une fois coupée repoussait aussitôt, le “tyran sans visage’’ dont parle Daniel revêt en réalité de multiples figures, toujours nouvelles, dont on peut douter qu’un Héraklès nous débarrasse jamais. Méconnaître cette multiplicité, accuser une instance unique, anonyme et toute-puissante, un grand Autre quel que soit le nom qu’on lui donne et dont nous serions les victimes par impuissance serait méconnaître les véritables raisons de notre asservissement consenti.
          Le pouvoir expliquait Michel Foucault, a sa dynamique propre et tend à s’accroître à l’infini. Celui qui en détient ne serait-ce qu’une parcelle tend toujours à en abuser quelle que soit sa place. Ce peut-être un concierge, un flic, un cadre d’entreprise, un administratif quelconque qui en rajoute sur la règlementation, complique les choses à plaisir et jouit de l’impatience et du désarroi de ceux qu’il met de cette façon à sa merci, récupérant ainsi à son profit une part du pouvoir que son supérieur hiérarchique exerce sur lui. En y soumettant autrui il cesse de le subir. -Cet exercice tyrannique et pervers d’une autorité légitime dans son principe peut d’aileurs s’accompagner de la bonne conscience du devoir accompli-. La domination se propage ainsi à tous les niveaux de l’échelle sociale car l’appétit de pouvoir semble bien être une constante chez les humains (voir la psychanalyse, le sentiment infantile de toute puissance). Et comme l’avait vu La Boétie la servitude est alors acceptée, voulue, aimée, vécue comme l’exercice d’une liberté car elle conditionne le pouvoir sur celui d’en-dessous. Nul besoin pour cela d’un tyran en haut de la pyramide, la structure se soutient elle-même.
Une forme de servitude volontaire peut exister dans un régime démocratique. Dans le principe, le peuple s’y gouverne lui-même. Mais le pouvoir du peuple peut être usurpé. En pratique la volonté du peuple devient  la volonté de la majorité. (J’emprunte la citation suivante de Stuart Mill à un article de Charles Zarka publié sur le site “Cairn’’): « Les “gens du peuple” qui exercent le pouvoir ne sont pas toujours les mêmes que ceux sur qui il s’exerce ; et l’“autonomie politique” en question n’est pas le gouvernement de chacun par soi-même, mais celui de chacun par tous les autres. Bien plus, la volonté du peuple signifie en pratique la volonté du plus grand nombre ou de la partie la plus active du peuple : de la majorité, ou ceux qui parviennent à s’imposer en tant que majorité…. »
Ainsi la démocratie, régime de la liberté, se retourne en une « tyrannie de l’opinion et du sentiment dominant » qui tend vers une homogénéisation de la société d’autant plus efficace qu’elle a la liberté politique pour paravent. Cette tendance à l’homogénéisation dispose aujourd’hui de moyens dont n’aurait osé rêver aucun tyran de l’Antiquité. Tel pays peut bien se dire démocratique puisque ses dirigeants sont élus, pour autant cela n’empêche pas ces derniers d’employer tous les moyens modernes au formatage de l’opinion.

Mais notre servitude volontaire va bien au-delà. La tyrannie de l’opinion et du sentiment dominant s’exerce dans d’autres domaines que celui purement politique où, malgré tout une résistance peut se faire jour.
Daniel a souligné que l’économie mondialisée qui domine nos sociétés oriente et même détermine nos choix servie en cela par des moyens techniques d’une efficacité inouïe. Pourtant ces choix sont non contraints et célébrés comme l’exercice du pouvoir et de la liberté. Les publicités alléchantes et toute forme de propagande y travaillent. Satisfaire les envies de consommation en un clic, s’informer, communiquer, se réunir sans rencontre physique comme nous le faisons, exprimer n’importe quelle opinion à l’intention d’une foule d’inconnus sur les réseaux sociaux, voyager dans le confort de son chez soi est vécu comme un affranchissement de contraintes paralysantes. Cette liberté participe d'une illusion et se retourne en servitude, puisque dans nos désirs eux-mêmes nous dépendons de causes extérieures, des pratiques, des moeurs, de la culture, du langage même véhiculés par ces moyens modernes de communication pensés par d’autres pour nous et in fine d’algorithmes que nous ne pouvons maîtriser.

Mais si les moyens sont nouveaux et d’une puissance redoutable, les causes, elles, ne le sont pas. Nous confondons la liberté avec la puissance de satisfaire nos désirs. C’est exactement ainsi que Platon décrit l’homme tyrannique, non pas libre mais soumis à l’anarchie et à la violence de désirs excités par des flatteurs sans scrupules et qui se combattent les uns les autres. Tous des tyrans en puissance à qui la technique fait croire que tout est possible...y compris l'avènement d'une humanité augmentée superpuissante.

Les hommes se croient libres explique Spinoza parce qu’ils sont conscients de leurs désirs et ignorants des  causes qui les déterminent, (ce que relève « Henri ») semblables au petit enfant qui croit désirer librement le lait, à l’ivrogne qui désire la bouteille, à la commère qui ne peut s’empêcher de parler, etc…

Ainsi, les causes de la servitude volontaire, sont-elles au fond si différentes de celles d’hier.? Servitude volontaire et tyrannie sont inséparables comme les deux faces du dieu Janus. Une conception spinoziste de la liberté nous affranchit de cette confusion. -Mais j'ai déjà été trop longue-

Mardi 22 décembre 2020

Claudine
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henri
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Re: Actualité de la "servitude volontaire"

Mer 23 Déc - 19:14
«Nous sommes agités de bien des façons par les causes extérieures et pareils aux flots de la mer, agités par les vents contraires, nous flottons inconscients de notre sort et de notre destin ».
Spinoza, L’Ethique, III, Prop. LIX, Scolie
J'aime la métaphore maritime.
Où l'on sent son Lucrèce, "Suave mari magno". Nous sommes l'insensé, l'esclave, luttant pour arriver à bon port.
Deleuze nous dit que Spinoza met du même côté les impuissants et les esclaves, mais égalemen ô surprise les tyrans. Qu'y a-t-il de commun entre un tyran et un esclave ? Un tyran qui commande, qui est aux manettes du pouvoir politique ?
Ce qu'ils ont en commun c'est que ce sont tous les 2 des impuissants.
Des impuissants qui ont besoin de faire régner la tristesse.
Ils ont tout 2 besoin "d'attrister la vie". Ils ont besoin l'un de l'autre.
Là tristesse étant chez Spinoza, le passage, la transition. d'une puissance à une puissance moindre.
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henri
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Re: Actualité de la "servitude volontaire"

Dim 3 Jan - 0:13
Ils ont signé un contrat, établi une alliance, ils sont un vrai couple. C'est l'esclave qui fait le maître et le maître qui fait l'esclave.
Il s'agit du couple servitude volontaire tyran, d'un qui a besoin de son autre et réciproquement pour tenir la route, pour effectuer ce travail du négatif (douleur enfantement) du même nécessitant son autre et vice versa. Cet autre qui est aussi dans le même est le moteur de la promotion de la substance en sujet du devenir, sujet de l'histoire pour Hegel.
C'est l'accession de l'esclave à la maitrise qui se joue dans cette opposition, cette contradiction de couple, cette dialectique du "tenir ensemble" (du vivre ensemble sous le joug du tyran)
Les 2 déterminations force/faiblesse ne sont pas séparées chacune de son côté, chacune retombant de son côté, il faut comprendre nous dit Hegel que chacune de ces déterminations sont fluides, non pas immobiles, rigides, fixes ,mais en mouvement, ce mouvement de la négation, où chacune se nie elle-même, et par là même se renverse dans l'autre, ce qui fait qu'il y a devenir, ce qui fait qu'il y a histoire (de couple). Hegel nous dit que la substance (la détermination, l'esclave) se transforme en sujet de l'histoire (métamorphose), trouve sa signification, se met en chemin, en mouvement, capable d'innovation, d'initiative, de liberté.
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D Junquas
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Actualité de la "servitude volontaire" Empty Jacques nous invite notamment à jeter un coup d’œil du côté de Hegel. Est-ce que cela pourrait contribuer à enrichir le débat voire à apporter des réponses ?

Jeu 7 Jan - 13:51
Il est à noter que Hegel a eu comme disciples aussi bien des « hégéliens de droite » que des « hégéliens de gauche ». Pour les uns la monarchie prussienne offrait déjà une bonne image de cette société idéale que Hegel semblait appeler de ses vœux alors que pour les autres cette société était à construire (Marx).
Ainsi Hegel a pu être à la fois l’ancêtre intellectuel du nazisme et du communisme. On peut sans doute mieux comprendre ce double héritage quand on prend en compte le fait que Hegel était un des principaux promoteur de la pensée politique antilibérale soutenant que "les conceptions individualistes de la liberté sont limitées et superficielles, car c’est uniquement lorsque l’homme est absorbé dans une société organique qu’il peut se réaliser pleinement ; tant qu’il demeure une une unité individuelle centrée sur soi, cela lui reste impossible. » (1)  
A l’opposé de Hegel, on peut citer le fondateur de l’existentialisme moderne, le philosophe danois Kierkegaard, qui considérait  que tout ce qui existe est exclusivement individuel et qu’il est donc impossible de saisir la vérité du réel au moyen d’affirmations générales et que c’est par conséquent une erreur d’avancer quelque système abstrait que ce soit.
_______________________________
La dialectique du maître et de l'esclave est l'une des idées phares dont un large public a entendu parler. Laissant aux spécialiste de Hegel l'exégèse de ce concept je me contenterai de noter qu 'en effet Il n’y a pas de maître sans esclave... le maître dépendant de l’esclave pour exister en tant que maître. Le paradis dans lequel vit le maître est lié aux produits du travail de l’esclave. Tout ce que le maître a est produit par l’esclave. Le maître n’est donc pas un être indépendant, mais plutôt dépendant de l’esclavage…
Ambivalence dans la relation maître-esclave (2)
Qui sont-ils, ces " habitants ", propriétaires de plantations aux dimensions diverses, mais toutes caractérisées par le recours à la main-d’œuvre servile ? Hommes de passion, pas de travail : il importe en effet de montrer par tous les moyens possibles et imaginables que l’on n’a pas besoin de travailler, que d’autres le font pour vous. [...]
Commentant la création des milices aux Antilles, Pierre-François-Régis Dessalles (2e moitié du XVIIIe)  explique qu’elles furent immédiatement nécessaires au système colonial pour se maintenir d’abord contre les « naturels du pays », puis, ceux-ci ayant été détruits, contre les nègres « ennemis bien plus dangereux par leur nombre, comme par la manière dont ils sont distribués », « jaloux de la liberté, si naturelle à tous les hommes » et qui ne pouvaient être contenus que « par la crainte, et par l’appareil de la force ».
Jean Barré de Saint-Venant (1737-1810) était un officier, propriétaire terrien à l’Île de Saint-Domingue, écrivain et inventeur du xviiie siècle). Il fait, pour sa part, un constat bien différent : « Ils y travaillaient néanmoins, soutient-il, avec sécurité ; ils y dormaient en paix au rez-de-chaussée, sans fermer ni portes ni fenêtres ; semblables aux anciens patriarches, ils étaient gardés par l’amour, le respect, la soumission, par l’ascendant enfin qu’ont les esprits forts sur les esprits faibles. »
Quand l’un met l’accent sur une révolte latente et une haine sourde qui ne peuvent être jugulées que par la force, l’autre observe tout au contraire une soumission respectueuse imposée à l’esclave par la seule supériorité intellectuelle et morale du maître. Ces affirmations, pour paraître antinomiques n’en sont pas moins rémanentes, dans le discours colonial. La récurrence de ces observations – que l’on retrouve d’ailleurs, sous une forme critique, dans le discours antiesclavagiste – nous invite à appréhender la relation esclavagiste comme ambivalente, tissée tout à la fois de haine et d’amour, de révolte et de soumission, d’acceptation et de revendication, d’attachement à l’habitation et de désir de fuite, relation dans laquelle le maître peut s’affirmer dans le même temps en danger permanent et en pleine sécurité…
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L’aliénation est un autre concept hégélien qui sera repris par Marx: « l’homme crée toutes sortes d’institutions, de règles et d’idées qui deviennent des contraintes extérieures à lui, en dépit du fait qu’elles sont de sa propre invention.  Il peut même ne pas les comprendre. Par exemple, en matière de religion, beaucoup de gens projettent les qualités qu’ils désirent posséder eux-mêmes sur un Dieu qu’ils voient alors comme parfait, omniscient et omnipotent tout en se considérant eux-mêmes par contraste comme vils, ignorants et impuissants. Un des disciples de Hegel, Feuerbach, exprimera l’idée que Dieu et les dieux étaient uniquement des créations de l’homme… (1)
Ce qui est dit ici des dieux peut être me semble-t-il appliqué à ces demi-dieux que sont les rois, les tyrans et les maîtres esclavagistes.

La Boétie, précurseur de la pensée libérale ?

« Le raisonnement libéral opère une nouvelle répartition des responsabilités entre individus et collectif, en insistant sur les premiers ; Le discours de lutte contre la pandémie de Covid-19 le montre, la solution est entre les mains de chacun de nous, dont dépend le sort de l’ensemble.
La crise de légitimité des démocraties représentatives ouvre la voie au pouvoir de chacun : le niveau d’action le plus efficace est désormais celui de l’individu, avec ses ressources psychiques, ses geste barrières, son tri des déchets etc. » (3)
A l’opposé certains ne jurent que par le collectif ou attendent tout du sommet.
Bien que La Boétie ait été « embrigadé » (intellectuellement) dans des projets révolutionnaires  sa pensée est dérangeante. Il semble en effet faire appel à la responsabilité individuelle, au « libre arbitre », au droit à la dissidence.
Serait-il quelque part un précurseur d’une forme de pensée libérale au sens politique ?
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(1) Histoire illustrée de la philosophie par Brian Magee, Le pré aux clercs, p.163
(2) Caroline Oudin-Bastide (2005). Travail, capitalisme et société esclavagiste: Guadeloupe, Martinique (XVIIe-XIXe siècle). Paris: La Découverte.
(3) Nicolas Marquis, professeur de sociologie à Bruxelles ( Cité dans Télérama décembre 2020)
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